Agitation aussi autour de l'Antarctique - Nucléaire indonésien et risque sismique - Espoirs américains de l'Alberta

L'Antarctique convoité en arrière-plan de la soudaine exposition de l'Arctique - Proposition de centrales nucléaires en Indonésie et le paramètre du tremblement de terre - Les plans de la province canadienne de l'énergie à destination des États-Unis... La 7e édition de cette lettre internationale

L'envers du globe
7 min ⋅ 09/01/2025

Je suis Benaouda Abdeddaïm, éditorialiste international à BFM Business. Je vous propose un regard décentré sur l’actualité mondiale : un choix d’événements négligés, où s’imbriquent économie et géopolitique dans des enjeux décisifs. Abonnez-vous pour une perspective sans a priori et explorez ainsi des faits qui éclairent le monde autrement.

| SOMMAIRE

  • MOUVEMENTS DE FOND
    Du Chili jusqu’à la Chine, le regain d’attention pour les Terres antarctiques

  • REPÈRES STRATÉGIQUES 
    - Sites potentiels de centrales nucléaires en Indonésie et aléa sismique
    - Déconnexion imminente des pays baltes du système électrique russe
    - Essor à contre-courant en Libye de la production de fer et d’acier

  • LECTURES PARTICULIÈRES
    - L’Alberta, sol canadien et projection nord-américaine
    - Modernisation du rail ukrainien en temps de guerre
    - Démarche chinoise d’édiction des normes dans l’intelligence artificielle

| MOUVEMENTS DE FOND

Du Chili jusqu’à la Chine, le regain d’attention pour les Terres antarctiques

“S’assurer que des concurrents stratégiques [des États-Unis] comme la Chine et la Russie ne menacent pas les intérêts américains en Antarctique ou bien depuis l’Antarctique.”

William Muntean, ex-conseiller principal Antarctique du Département d’État américain. Source : BFM Business

Portion de pôle Sud : Aucun chef d’État latino-américain, jusqu’ici, ne s’était rendu ainsi en visite au pôle Sud. Gabriel Boric, peu coutumier des coups d’éclat, aura été le premier à franchir le pas en ce début d’année. Le bureau présidentiel à Santiago a aussitôt présenté ce voyage inédit à bord du brise-glace national Almirante Vial, en compagnie des principaux chefs de l’armée, comme la “revendication de souveraineté” du Chili sur “sa” portion de l’Antarctique : 1 236 000 km² au total, territoire de neiges et de glaciers. Trente-six heures d’expédition pour deux heures à peu près clémentes sur place, par - 25°C, au cours desquelles le président Boric a promu “une politique d’État à long terme, en cette période de turbulences géopolitiques, où le statut de l’Antarctique va être rediscuté dans un avenir proche”.

Appétits miniers : Mais point trop n’en faut dans la posture martiale. La radio d’information chilienne Cooperativa assure que la visite ne visait qu’à “mettre en lumière la recherche scientifique sur le continent blanc et à préserver sa biodiversité et son intégrité menacées par l’appétit d’exploitation minière internationale, en particulier de la Chine, de la Russie, des États-Unis et de l’Argentine”. Dans cette optique, Santiago se veut l’acteur responsable que ne serait plus Buenos Aires. En avril dernier, le président argentin Javier Milei, antithèse de son homologue chilien, a annoncé l’installation d’une base navale conjointe avec les États-Unis à l’extrémité sud de son territoire. “Une porte vers le continent blanc”, a-t-il alors déclaré.

Escalade : Le Chili, qui partage 5 300 kilomètres de frontière terrestre avec l’Argentine, considère que le président Milei inscrit son propos dans le différend historique entre les deux pays quant à une extension du plateau continental à l’ouest de l’Antarctique. En 2021, le chef de la diplomatie chilienne de l’époque, Andrés Allamand, a eu cette formule qui se voulait définitive : “Personne ne s’approprie ce qui lui appartient”. Au contentieux territorial somme toute banal où l’on s’oppose des arguments juridiques s’ajoute à présent un affrontement idéologique. En décembre, le ministre argentin de l’Économie, Luis Caputo, s’est autorisé à qualifier le président Boric de “communiste sur le point de couler son pays”. Peu après, un hélicoptère de l’armée chilienne est entré sans aval dans l’espace aérien argentin… Santiago plaide une “brève erreur”.

7 prétendants : Comme l’Argentine et le Chili, l’Australie, la France, la Norvège, la Nouvelle-Zélande et le Royaume-Uni maintiennent formellement des prétentions territoriales sur telle ou telle partie de ce continent blanc. Les États-Unis, comme la plupart des autres nations, ne reconnaissent toujours aucunement de telles revendications de souveraineté.

Capture de krill : Et pendant que les deux voisins sud-Américains face au continent austral multiplient les accrochages, les plus grandes puissances - très éloignées géographiquement - continuent d’y poser leurs jalons. À commencer par la Chine. L’an dernier, elle a installé une nouvelle station scientifique dernier cri, baptisée Qinling qui, d’après une ancienne analyste du ministère australien de la Défense, serait “très bien située pour la pêche de recherche et la capture de krill”, là où elle est autorisée dans une région de la mer de Ross, une baie profonde de l’océan Pacifique sud bordant l’Antarctique. Le krill, un type de petit crustacé, est avant tout utilisé comme aliment pour des poissons d’élevage. Claire Young souligne, par ailleurs, que Qinling a déjà été inspectée par l’Australie et les États-Unis en vue de vérifier sa “non-militarisation”, tel que le prévoit le Traité sur l’Antarctique, en vigueur depuis 1961. En la matière, depuis sa première unité de recherche en 1985, Pékin n’a jamais été pris à défaut.

Tandem russo-chinois ? : Les Américains soutiennent pourtant que les Chinois ont mis en place une coopération avec les Russes afin de “perturber le statu quo”. Lors de la conférence annuelle de la Commission pour la conservation de la faune et de la flore marines de l’Antarctique, en octobre dernier, plusieurs représentants du bloc occidental ont soutenu qu’un tandem russo-chinois a systématiquement cherché à bloquer des propositions environnementales clés, dont l’instauration de nouvelles aires marines protégées et la révision du programme de gestion de la pêche de krill. Au demeurant, le mois dernier, la première station de surveillance atmosphérique chinoise en Antarctique est entrée en service. Le directeur de l’Institut chinois de météorologie polaire, Ding Minghu, fait valoir que ses données d’observation “possèdent des avantages géographique et une valeur scientifique uniques” dans l’étude de l’impact des activités humaines sur l’environnement.

Passage de Drake : Washington conserve ensuite une vigilance plus particulière vis-à-vis de la Chine dans une zone maritime, celle du passage de Drake, le bras de mer qui relie le sud-ouest de l’Atlantique au sud-est du Pacifique. Quand bien même pour l’analyste Claire Young, en cas de conflit majeur, la marine chinoise se concentrerait sur le contrôle des eaux plus proches de l’Asie orientale plutôt que ce fort lointain et périlleux détroit de Drake que l’on traverse pour atteindre le continent blanc.

Le plus inhospitalier : Il suffit, à cet égard, de se référer au compte-rendu de la mission annuelle d’approvisionnement des stations antarctiques des États-Unis. Le Polar Star, le seul brise-glace lourd de la garde-côtière (USCG), est ainsi chargé de “l’une des missions militaires américaines les plus difficiles en temps de paix”. L’USCG juge utile de rappeler que ce continent demeure “le plus froid, le plus venteux et le plus inhospitalier” de la planète.

Irréversible : Cependant, certains experts susceptibles d’être écoutés de Washington et davantage encore auprès de son prochain gouvernement se montrent persuadés que le statu quo touche inexorablement à sa fin, non seulement du fait d’un changement climatique qui va modifier de manière irréversible cet environnement physique, mais aussi à mesure que les grandes puissances sont confrontées à une demande croissante de minerais critiques. Une thèse développée par Elizabeth Buchanan, la cheffe de la recherche de la marine royale australienne. Chacun n’en aura eu qu’un simple aperçu lorsqu’au début de 2020, Rosgeo, l’organisme russe d’exploration des ressources minières, a annoncé avoir découvert un extraordinaire gisement pétro-gazier sous les eaux de l’océan Austral.

Prudence : La communauté scientifique reste toutefois très prudente quant aux potentiels effectifs. Différentes recherches géologiques et sismiques ont rapporté la présence de ressources métalliques (fer, cuivre, manganèse, nickel…) et non-métalliques (graphite, phosphate, quartz…). Toutefois, il faudrait une évolution radicale des conditions et des techniques d’exploitation pour espérer que la production devienne économiquement intéressante un tant soit peu.

Pas d’expiration en 2048 : Afin de prévenir toute tentation, l'ASOC, un mouvement collaboratif d’organisations de défense de l'intégrité des écosystèmes de l'Antarctique, pousse à consolider le traité et à balayer l’idée fausse qu’il arriverait à expiration en 2048. Son article 25.2 dispose qu’à cette date, certes toute partie pourra convoquer une conférence d’examen du Protocole, ouvrant la porte à “un dialogue”, ce qui ne signifiera en rien la fin du texte. En outre, pour lever l’interdiction de l’exploitation minière, il y aurait d’abord lieu d’aboutir à un cadre juridique contraignant à partir d’un “consensus” des parties.

Facteur Trump ? : Et si Donald Trump songeait, lui, à faire voler en éclat cette architecture ultra-restrictive, comme il compterait le faire autour de l’Arctique et du Groenland ? William Muntean, conseiller principal pour l’Antarctique du ministère américain des Affaires étrangères jusqu’à juillet 2023, à ce titre chef de délégation des États-Unis aux réunions consultatives du Traité, n’y croit pas vraiment. “Il est peu probable que le nouveau président Trump consacre beaucoup de temps ou d’énergie à l’Antarctique”, nous explique-t-il, “car les États-Unis ont beaucoup moins d’intérêts nationaux dans cette région que dans l’Arctique”. Néanmoins, l’ancien haut diplomate américain pense que l’administration Trump “poursuivra probablement les efforts qu’elle a commencé lors du premier mandat, à savoir la reconstruction de la flotte de brise-glaces américains pour les opérations dans les deux pôles et le recours aux inspections inopinées autorisées par le Traité, afin de s’assurer que des concurrents stratégiques tels que la Chine et la Russie ne menacent pas les intérêts américains en Antarctique ou bien depuis l’Antarctique”.

Une autre histoire : “L’Antarctique, c’est une toute autre histoire que l’Arctique”, insiste donc Arild Moe, chercheur à l’Institut norvégien Fridtjof Nansen. Ne pas confondre pôle Sud et pôle Nord… Un truisme qui vaut pour tout le monde.

| REPÈRES STRATÉGIQUES

Sites potentiels de centrales nucléaires en Indonésie et aléa sismique

Inévitable : Les séismes ne paraissent pas inquiéter le Conseil national de l’énergie de l’Indonésie. Il propose 29 emplacements pour y installer des centrales nucléaires. Un membre de l’instance juge “inévitable” ce recours au nucléaire, si la première économie du sud-est asiatique veut se garantir une énergie fiable - un besoin essentiel pour le raffinage du nickel est invoqué - et diminuer ses émissions de gaz à effet de serre.

Soutien américain : La présidence indonésienne a rapporté, en novembre, un engagement des États-Unis pour aider à développer de petits réacteurs modulaires. Walhi, le Forum indonésien pour l’environnement, mène campagne contre, en soulignant le fait que l’archipel est situé en bonne partie le long de la ceinture de feu du Pacifique, là où un alignement de volcans coïncide avec les limites de plaques tectoniques.

Déconnexion imminente des pays baltes du système électrique russe

Même pas compte : Quoi qu’il advienne, le mois prochain, l’Estonie aura quitté le système électrique russe et biélorusse BRELL, afin de se raccorder au réseau continental européen. Le Premier ministre, Kristen Michal, soutient que cela se déroulera “de telle manière que nous ne nous en rendrons même pas compte”. Mais Tallinn dit aussi se préparer à une manœuvre de Moscou pour que ce basculement se déroule mal.

75 % sur fonds UE : La Lettonie et la Lituanie vont également procéder à ce transfert le 8 février. Les pays baltes auront été les derniers membres de l’Union européenne à ne pas être connectés au réseau continental européen. D’après la télévision publique estonienne, l’ensemble du projet de désynchronisation à trois coûtera 1,6 milliards d’euros, financés à 75 % par les fonds de l’UE.

Essor à contre-courant en Libye de la production de fer et d’acier

Qualité internationale : Emaar Libya a annoncé, en décembre, avoir entamé à Benghazi les “travaux préliminaires d’exploitation” de son usine d’assemblage et de fusion de fer et d’acier. La grande cité portuaire de l’est libyen constitue la capitale de facto du pouvoir dissident du maréchal Khalifa Haftar. D’après l’entreprise, “il s’agit de fournir des produits conformes aux normes internationales”.

Opportunités : L’ambassadeur de France à Tripoli, Mostafa Mihraje, a récemment évoqué la Libye comme une “terre d’opportunités, malgré ses particularités”. C’est le sens qu’a donné à son investissement, en juillet dernier, l’aciériste turc Tosyali, en lançant la construction d’un complexe sidérurgique à Benghazi, présenté comme le plus grand au monde dans son genre, avec une capacité à terme de 8,1 millions de tonnes par an.

| LECTURES PARTICULIÈRES

L’Alberta, sol canadien et projection nord-américaine

Oléoducs : Une province canadienne au moins se pense en mesure de traiter dans les meilleures conditions avec le prochain gouvernement des États-Unis : l’Alberta, connue comme la “province de l’énergie”. Lundi, son exécutif conservateur a annoncé une entente avec Enbridge, une société d’exploitation d’oléoducs, basée à Calgary, dans l’objectif d’augmenter les exportations d’hydrocarbures vers les États-Unis.

Identitaire : José Luis Ayala Cordero, professeur à l’UNAM (Mexique), a détaillé comment cette région très agricole a renforcé sa position dans l’intégration nord-américaine en tant que plus important producteur pétrolier du Canada. L’Accord de libre-échange nord-américain lui a élargi “en très grand, l’accès aux marchés internationaux”, au point de “modifier l’équilibre politique, économique et même identitaire” du pays.

Modernisation du rail ukrainien en temps de guerre

300 millions € : Un renouvellement du parc de locomotives électriques en Ukraine financé par la Banque européenne de reconstruction et de développement. Le crédit signé atteint 300 millions d’euros et il est censé servir également à installer des unités de production d’électricité dans les propres sites des chemins de fer ukrainiens. Selon la BERD, ce soutien “garantira le bon fonctionnement des services de fret et de passagers”

1 435 mm : Le Centre d’études est-européennes de l’OSW (Pologne) a analysé la façon dont Kiev ”s’appuie” sur la guerre pour procéder à “une transformation rapide” de l’infrastructure ferroviaire. Priorité : passer à l’écartement des rails de 1 435 mm utilisé dans l’UE, en remplacement du standard à 1 520 mm de l’ancien espace soviétique. Écueil : un défaut de coordination logistique ukrainien avec les voisins.

Démarche chinoise d’édiction des normes dans l’intelligence artificielle

41 membres : Le comité officiel de normalisation technique de l’intelligence artificielle formé à Pékin, en décembre, comprend 41 membres, dont des représentants des industries technologiques et du monde universitaire. L’intention de l’État chinois est de bâtir une réglementation nationale susceptible de compter de manière déterminante dans l’élaboration d’un éventuel cadre mondial de l’IA.

Européens prévenus : Junhua Zhu, un jeune chercheur chinois en poste dans une université finlandaise, précise comment une administration de la normalisation structure déjà cette approche autour de cinq domaines, allant de la cybersécurité au transport intelligent. Et il prévient les décideurs européens : améliorez votre compréhension du paysage chinois de l’IA si vous voulez préserver la compétitivité de l’Europe.

———————————

Que pensez-vous de tout l’emballement autour des régions polaires : fantasmes exotiques ou bien préoccupations légitimes ? Un autre sujet retient ici votre attention ? Vos réactions sont les bienvenues : lenversduglobe@bfmbusiness.fr

Prochaine édition le jeudi 16 janvier. 

Benaouda Abdeddaïm

L'envers du globe

L'envers du globe

Par Benaouda Abdeddaïm

Bonjour, je suis Benaouda Abdeddaïm, journaliste féru de relations internationales, éditorialiste sur la chaîne d’information économique BFM Business. J’y interviens autour des questions mondiales - économie et géopolitique - dans différentes tranches et émissions, en mettant en lumière des sources “d’ailleurs” pour une analyse distanciée. En outre, je suis chargé d’enseignement au master d’affaires internationales de l’Université Paris Dauphine. Avec cette newsletter, chaque jeudi dans votre messagerie, vous pourrez obtenir des paramètres clés qui éclairent le monde autrement.

Les derniers articles publiés