L'envers du globe

Les répercussions du coup de force avorté à Séoul : positionnements des puissances et prestige écorné ; un exploitant autrichien pour un gisement gazier roumain en mer Noire ; le couloir de Lobito, stratégie américaine et cobalt congolais... Troisième numéro de votre lettre internationale.

L'envers du globe
5 min ⋅ 05/12/2024

Je suis Benaouda Abdeddaïm, éditorialiste international à BFM Business. Je vous propose un regard décentré sur l’actualité mondiale : un choix d’événements négligés, où s’imbriquent économie et géopolitique dans des enjeux décisifs. Abonnez-vous pour une perspective sans a priori et explorez ainsi des faits qui éclairent le monde autrement.

| SOMMAIRE

  • MOUVEMENTS DE FOND
    Le coup porté au
    prestige de la Corée du Sud : une fiabilité abîmée

  • REPÈRES STRATÉGIQUES 
    - Du graphite chinois pur à 99,99 % en atout sous contrôle
    - 100 milliards de dollars d’Abu Dhabi à injecter au Brésil
    - L’autrichien OMV finalement dans un gisement gazier roumain

  • LECTURES PARTICULIÈRES
    - Le couloir de Lobito : du cobalt et du cuivre vers l’Angola
    - Des bergers bulgares refusant un sort de mouton

    - Prospective canadienne d’une guerre civile américaine

| MOUVEMENTS DE FOND

Le coup porté au prestige de la Corée du Sud : une fiabilité abîmée

“Les grands pays se concentrent tous sur le lobbying auprès des États-Unis et à bâtir de nouveaux réseaux, seule la diplomatie de la Corée du Sud est revenue à zéro et s'est complètement arrêtée.”

Lee Byong-chul, professeur à l’Institut d’études d’Extrême-Orient (Kyungnam). Source : Joongang

Mise en péril d’alliance : Dans son système de liens au sein de l’espace indopacifique, le mal est fait pour la Corée du Sud. Le président conservateur, Yoon Suk Yeol, a tenté de décréter la loi martiale dans son pays, le 3 décembre, sans qu’aucun partenaire extérieur n’en soit notifié au préalable - pas même les Etats-Unis. Un porte-parole du Conseil de sécurité nationale, à Washington, l’assure. En atteste certainement l’annulation in extremis d’une session, programmée le lendemain, du Groupe consultatif nucléaire, une instance bilatérale mise en place en avril 2023 afin “d’améliorer la dissuasion commune face aux menaces nucléaires et balistiques de la Corée du Nord”. Et un ancien haut responsable du ministère américain de la Défense ne s’estime en rien convaincu par le renversement de situation en six heures, dès lors que “la décision désastreuse” du président Yoon '“a mis gravement en péril l’alliance avec les Etats-Unis”.

Réévaluer les risques : Cette irritation des Américains d’avoir été traités sans égards peut se refléter dans l’appréciation des événements par l’agence de notation financière Standard & Poor’s, jugeant que ce qui s’est produit “amènera probablement certaines entreprises à réévaluer les risques liés aux chaînes d'approvisionnement, financiers et politiques”. Les plus importants conglomérats sud-coréens, réunis d’urgence en conclave mercredi, ne se sont pas révélés, eux-mêmes, en mesure de dissiper de telles craintes.

Pologne : Ce doute s’est tout autant emparé de l’Europe, et plus spécifiquement encore de la Pologne, devenue le premier client des armements sud-coréens. Le ministère polonais de la Défense a aussitôt obtenu des assurances formelles de Séoul quant à “l’exécution” des contrats signés à partir de 2022, comprenant un millier de chars de combat K-2, près de 700 obusiers K-9, ainsi que des lance-roquettes K-239 et des avions d’entraînement FA-50. Un ancien diplomate polonais s’interroge, au demeurant sur les calendriers des livraisons, dans ce nouveau contexte d’incertitude politique extrême.

100 milliards : La Chine évalue sous un autre angle la gravité de la déstabilisation, sachant qu’en mai dernier les deux gouvernements sont convenus d’engager des négociations d’élargissement de leur accord commercial en vigueur depuis 2015, qui fait que les exportations sud-coréennes vers la deuxième économie mondiale dépassent annuellement les 100 milliards de dollars. La diplomatie chinoise refuse aujourd’hui de formuler un commentaire quant aux “affaires intérieures de la République de Corée”.

Farce : Loin de cette précaution, le directeur d’un centre d’études internationales à Pékin assimile, lui, l’issue de cette crise à “une farce”… Manière abrupte de renvoyer Séoul à ses propres appels à la responsabilité, puisque la semaine passée encore, la présidence sud-coréenne réclamait de la Chine, avec solennité, “un rôle constructif” face à l’accélération de la coopération militaire entre la Corée du Nord et la Russie.

Imprévisible : Dans un registre assez proche de celui de cet expert officieux chinois, la porte-parole du ministère russe des Affaires étrangères a qualifié la Corée du Sud de “voisin imprévisible ou, au contraire, prévisible en termes d’instabilité”. Il n’en demeure pas moins que, pour le quotidien économique moscovite Kommersant, la sortie de la loi martiale en si peu de temps a prouvé qu'une “tentative classique de coup d’Etat à Séoul telle que pratiquée du temps de la guerre froide a échoué, cette fois-ci”.

Rhétorique : La Corée du Nord, de son côté, se tient en retrait, sans la moindre mention initiale dans les organes du Parti du travail, de la tempête politico-militaire chez le voisin. Les services de renseignement de l’armée sud-coréenne n’ont d’ailleurs relevé aucun mouvement inhabituel de l’autre côté de la frontière. Selon le site NK News, spécialisé à Séoul dans les dossiers nord-coréens, l’utilisation par Yoon Suk Yeol d’une “rhétorique anti-Pyongyang” vilipendant l’opposition pour justifier la loi martiale, par la rapidité de sa déroute, aura illustré l’inefficacité d’une telle stratégie. Un très coûteux anachronisme pour le prestige sud-coréen.

| REPÈRES STRATÉGIQUES

Du graphite chinois pur à 99,99 % en atout sous contrôle

Quasi-perfection : Un tel taux s’approche de la perfection théorique. China Electronics Technology Corp. (CETC) affirme pouvoir raffiner de la poudre de graphite à une pureté de plus de 99,99995 %. De surcroît, cette entreprise d’Etat assure disposer d’un nouveau processus de production de masse, à un coût de revient inférieur à celui des méthodes courantes.

Contrôle strict : Cette ultra-qualité est censée avoir un impact déterminant sur les performances des batteries électriques, ainsi que pour des composants dans l’aéronautique et les réacteurs nucléaires. Pékin a placé ce matériau sur sa liste des produits d’exportation vers les Etats-Unis sous contrôle “strict”. Washington espère maintenant se tourner vers le Mozambique et la Tanzanie, comme (futures) solutions de repli.

100 milliards de dollars d’Abu Dhabi à injecter au Brésil

Renouvelables : Pour l’occasion, c’est le chef de l’Etat brésilien, Luiz Inacio Lula da Silva, en personne qui a reçu le directeur général d’Abu Dhabi Investment Group (ADIG), Zayed bin Aweidha, venu annoncer, le 29 novembre, pour plus d’une centaine de milliards de dollars de projets au Brésil dans les infrastructures, les énergies renouvelables, les hydrocarbures, l’industrie automobile, la banque…

400 000 km² : Autre volet notable, l’agriculture. L’ADIG compte y investir, “en ayant recours aux technologies avancées”, à travers 400 000 km² de terres brésiliennes - une superficie plus vaste que celle de l’Allemagne.

L’autrichien OMV finalement dans un gisement gazier roumain

33 ans de gaz : Sans gaz russe depuis la mi-novembre, la compagnie autrichienne OMV s’est décidée à lancer une campagne de développement d’un large champ gazier en mer Noire, dans sa partie roumaine. L’exploration commence le mois prochain dans un bloc en eaux profondes dont les réserves sont estimées à 100 milliards de m³ de gaz - a priori trente-trois années de production à partir de 2027. 

N°1 de l’UE : Le projet allait de report en report, au motif d’un régime fiscal roumain jugé défavorable à Vienne, jusqu’à une évolution en 2023. D’après un média économique de Bucarest, le bloc baptisé “Neptune” devrait, pour la Roumanie, consolider son rang de premier producteur de gaz naturel de l’Union européenne, acquis au printemps dernier.

| LECTURES PARTICULIÈRES

Le couloir de Lobito : du cobalt et du cuivre vers l’Angola

Débouché portuaire : Avant de quitter la Maison-Blanche dans un mois et demi, le président Joe Biden aura pris le temps de se rendre, le 4 décembre, à Lobito, à quelque 500 km au sud de la capitale angolaise, Luanda. Pour les Etats-Unis, doit déboucher vers cette ville portuaire un “couloir” destiné à assurer l’acheminement du cobalt et du cuivre extraits en République démocratique du Congo et en Zambie.

Lignes ferroviaires : Dans Qiraat Africa, le spécialiste égyptien des affaires africaines, Jihan Abdel Rahman Jad, de l’Université du Caire, en analyse les ressorts. Américains et Européens se sont engagés à financer routes, ponts et lignes ferroviaires tout du long, afin de ne plus dépendre des voies anicennes vers l’Océan indien. Objet central pour Washington : réduire de la sorte l’empreinte régionale chinoise.

Des bergers bulgares refusant un sort de mouton  

Miel ukrainien : Les apiculteurs bulgares ont obtenu de leur gouvernement, le mois dernier, qu’il aille solliciter des mesures de protection auprès de la Commission européenne, face à l’afflux de miel à bas prix en provenance d’Ukraine… Une production agricole ainsi marginalisée parmi d’autres.

Modernisation : Dans Rural Society, Le chercheur néo-zélandais, Thomas O’Brien, replace dans une perspective historique contemporaine, la crise aigue que vit l’agriculture bulgare, malgré la modernisation de son appareil productif avec l’adhésion à l’Union européenne. La paysannerie bulgare manifestait, il y a une dizaine d’années, au cri de “nous sommes des bergers, pas des moutons”.

Prospective canadienne d’une guerre civile américaine

Drones : Le ministre canadien de la Sécurité publique, Dominic LeBlanc, a fait état, le 2 décembre, de commandes de drones et d’hélicoptères de police, ainsi que de redéploiements d’effectifs, afin de renforcer la surveillance aux frontières. Et il compte sur le plein soutien de son collègue aux Finances.

Sous-anticipé : En avril, l’organisme de prospective de l’Etat canadien a publié un rapport qui a fait grand bruit. Dans les “perturbations” à l’horizon qualifiées de “sous-anticipées” figurait cette hypothèse : "Une guerre civile éclate aux Etats-Unis. Les divisions idéologiques, l’érosion de la démocratie et les troubles intérieurs s’aggravent et plongent ce pays dans la guerre civile.”

Quels dossiers vous intéresseraient dans cette lettre (merci beaucoup de vos précédentes suggestions) ? Comment percevez-vous cette tempête en Corée du Sud ? Sur ce sujet, comme sur les autres, vos réactions sont les bienvenues : lenversduglobe@bfmbusiness.fr

A jeudi prochain. 

Benaouda Abdeddaïm

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Par Benaouda Abdeddaïm

Bonjour, je suis Benaouda Abdeddaïm, journaliste féru de relations internationales, éditorialiste sur la chaîne d’information économique BFM Business. J’y interviens autour des questions mondiales - économie et géopolitique - dans différentes tranches et émissions, en mettant en lumière des sources “d’ailleurs” pour une analyse distanciée. En outre, je suis chargé d’enseignement au master d’affaires internationales de l’Université Paris Dauphine. Avec cette newsletter, chaque jeudi dans votre messagerie, vous pourrez obtenir des paramètres clés qui éclairent le monde autrement.

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