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| SOMMAIRE
MOUVEMENTS DE FOND
Un couloir le long du Sud-Caucase : pierre d’achoppement dans l’alliance russo-iranienne
REPÈRES STRATÉGIQUES
- Souveraineté de l’Île Maurice sur les Chagos : convaincre le nouveau pouvoir américain
- Compétition universitaire scientifique : le dépassement chinois
- Urgence sur le riz aux Philippines : coup de pouce du Pakistan
LECTURES PARTICULIÈRES
- Recul des échanges entre la Corée du Nord et la Chine : estimation “trompeuse” du PIB
- Basculement politique en Autriche : exportations et démographie
- Désescalade en mer Rouge : transport maritime et combat des Houthis
| MOUVEMENTS DE FOND
Un couloir le long du Sud-Caucase : pierre d’achoppement dans l’alliance russo-iranienne
“La position de l’Iran est liée à son intérêt stratégique de maintenir son influence régionale et sécuriser ses routes commerciales, qu’il perçoit comme pouvant être remis en cause par une ouverture du corridor de Zanguezour [via l’Arménie].”
Nargiz Hajiyeva, directrice scientifique - Université d’État d’économie (Azerbaïdjan). Source : BFM Business
Couloir de transport : Une simple mention générale. À l’article 12 du “Partenariat stratégique global” conclu à Moscou vendredi dernier par le président russe, Vladimir Poutine, et son homologue iranien, Massoud Pezeshkian, il est disposé que les deux alliés s’engagent à contribuer au “renforcement de la paix et de la sécurité (…) en Transcaucasie”. Même à cette occasion, chacun se sera abstenu de s’étendre sur la question du “corridor de Zanguezour”, le projet de couloir de transport, soutenu par la Russie, allant de la mer Caspienne à la Turquie et qui donnerait à l’Azerbaïdjan un accès sans entrave à sa région du Nakhitchevan, son exclave à l’ouest. Mais pour cela, il faudrait pouvoir traverser sur une quarantaine de kilomètres la province arménienne limitrophe de l’Iran. Et de cela, jusqu’ici, ni les Arméniens, ni les Iraniens n’en veulent.
Coup de poignard : L’ambassadeur d’Iran à Erevan, Mehdi Sobhani, l’a assuré en septembre : “Tous les rêves et les illusions concernant le corridor de Zanguezour ne deviendront jamais réalité.” C’est d’ailleurs de manière récurrente que Téhéran appuie la position des Arméniens, en s’en prenant publiquement à celle des Russes. Comme lorsqu’un membre de la Commission de la sécurité nationale du Parlement iranien, Fadahossein Maleki, a parlé de “deux poids, deux mesures de la Russie (…) et sa pression pour la création de ce corridor, un coup de poignard dans le dos totalement inacceptable”. Le Guide de la Révolution iranienne, Ali Khamenei, dépositaire de l’autorité suprême, a lui-même fait savoir que son pays en faisait “une ligne rouge” auprès de Moscou et d’Ankara.
Dissuasion : Il n’est pas anodin que la plus importante agence de presse de Téhéran ait publié, début janvier, la tribune d’un analyste arménien, Sergei Melkonian, sur l’hypothèse que ce Caucase du Sud devienne “le prochain front contre l’Iran”, après celui de la Syrie. Scénario le plus probable à ses yeux : une '“ouverture” de ce corridor par l’Azerbaïdjan, par une offensive éclair et en concentrant ses forces, de telle sorte que “le temps de réaction d’acteurs extérieurs soit réduit au minimum”. Option première dont disposerait alors l’Iran pour prévenir une telle attaque des Azerbaïdjanais : mener des exercices militaires dissuasifs à sa frontière nord, à l’image de ceux effectués avec succès en septembre 2022.
Espace turcophone : Vu de Téhéran, laisser Bakou s’emparer de cette portion de territoire arménien, sous prétexte d’efficacité logistique des échanges commerciaux, reviendrait à admettre de ne plus disposer de contact terrestre direct avec cette nation alliée de très longue date, au cœur du Caucase, que demeure l’Arménie. Au nord, l’Iran se trouverait alors face à une continuité de l’espace turcophone, dont il ne veut pas, d’autant que la Turquie ne cesse d’exprimer haut et fort son plein appui à ce projet azerbaïdjanais. Le mois dernier, le président du parlement turc, Numan Kurtulmus, est allé jusqu’à évoquer un “couloir de la paix”.
Irrédentisme : Aussi, Michael Rubin, conseiller pour l’Iran de l’American Enterprise Institute et de l'armée américaine se montre catégorique : “La position à Téhéran sur Zanguezour n’évoluera pas, car ils se méfient de l’influence croissante de la Turquie dans le Caucase et de tout irrédentisme de l’Azerbaïdjan pouvant provoquer une réaction parmi les Azéris”, qui forment la première minorité ethnique d’Iran. Cet ancien du cabinet de Donald Rumsfeld, le ministre de la Défense de George W. Bush, juge que c’est “à juste titre” que les Iraniens considèrent qu’il s’agit là d’une question relevant exclusivement de la souveraineté arménienne.
Concurrence de couloirs : Il en va aussi des options commerciales à venir des Iraniens. Pour le stratège énergétique Umud Shokri, chercheur associé à la George Mason (Washington), l’Iran redoute que ce couloir le long du Sud-Caucase “ne détourne d’importantes routes commerciales de son territoire, affaiblissant ainsi son rôle de plaque tournante de transit”. Le risque serait que Zanguezour ne vienne d’une manière ou une autre concurrencer le projet INSTC, le réseau de transport international Nord-Sud, conçu pour connecter l’Inde à l’espace eurasiatique via le territoire iranien (cf. L’envers du globe du 16.01.2025).
Approche iranienne : Ces multiples craintes iraniennes, quelques-uns en Azerbaïdjan semblent disposés à les entendre, comme Nargiz Hajiyeva, directrice scientifique de l’Université d’État d’économie à Bakou, qui pense également que “la position de l’Iran est liée à son intérêt stratégique de maintenir son influence régionale et sécuriser ses routes commerciales, qu’il perçoit comme pouvant être remis en cause par une ouverture du corridor de Zanguezour” via l’Arménie. Cette experte azerbaïdjanaise veut, néanmoins, croire que “l’évolution des relations de sécurité avec la Russie”, par ce Partenariat stratégique global signé à Moscou, “pourrait rééquilibrer l’approche iranienne”… Comprendre, Téhéran peut finalement se laisser convaincre en obtenant de cette alliance avec la Russie un rétablissement de son assise géopolitique.
Garanties russes ? : Différents autres analystes à Bakou soulignent que le ministère iranien des Affaires étrangères n’évoque plus “une ligne rouge” concernant Zanguezour, dès lors que Téhéran, affecté par sa “défaite” en Syrie, devrait rechercher un compromis avec Ankara. Les médias russes mettent eux en avant le propos du président Poutine, après la signature du 17 janvier, ayant parlé d’une “interaction entre la Russie et l’Iran en Transcaucasie”. Si le Kremlin insiste tant, c’est aussi parce que le contrôle d’un tel réseau logistique dans cette région s’avère “important (…) dans le contexte des sanctions économiques contre la Russie”, écrit Anri Chedia, de l’École supérieure d’économie de Moscou, qui ajoute que “certains pays d’Asie centrale et la Chine pourraient profiter d’une telle route supplémentaire de transport de marchandises vers l’Europe en contournant le territoire russe”… Pour ainsi dire, les Russes rendraient service aux Asiatiques.
Pas d’idéologie : Les cinq d’Asie centrale plaident, en tout cas, leur cause auprès des Iraniens, en invoquant le raccourcissement des distances par l’itinéraire de Zanguezour. Dans une note de juillet 2024, Nargiza Umarova, chercheuse à l’Institut des hautes études internationales d’Ouzbékistan, juge “opportun de s’appuyer exclusivement sur la composante économique plutôt que politique et surtout idéologique de ce concept”, poussé par l’Azerbaïdjan, dont le chef de l’État a réaffirmé que ce corridor sera ouvert qu’Erevan le veuille ou non. Ilham Aliyev avertit que l’Arménie ne devrait pas “agir comme une barrière géographique entre la Turquie et l’Azerbaïdjan”. Et il soumet, à nouveau, un règlement définitif de paix avec Erevan à son acceptation de ce couloir par son territoire.
Maintien de la paix : Une fois encore, Erevan se tourne vers Téhéran. Mardi, en recevant un envoyé spécial arménien, le chef de la diplomatie iranienne, Abbas Araghchi, a assuré que “la République islamique est prête à contribuer au maintien de la paix et de la stabilité” dans le Caucase du Sud. Le même jour, le ministre russe des Affaires étrangères, Sergueï Lavrov, a dit, aux côtés de son homologue arménien, Ararat Mirzoyan, la disponibilité du Kremlin à aider à une normalisation des relations entre l’Arménie et l’Azerbaïdjan, alors que les gardes-frontières arméniens assument désormais seuls depuis le début du mois, sans les Russes, le contrôle des postes-frontières aussi bien avec l’Iran qu’avec la Turquie.
Adhésion à l’UE : Circonstance aggravante pour Moscou, le gouvernement arménien a introduit, le 9 janvier, un projet de loi en vue d’un “début de processus d’adhésion à l’Union européenne”. Avertissement sans ambages du vice-Premier ministre russe, Alexey Overchuk : Erevan risque, en se détournant donc de l'Union économique eurasienne, de devoir régler bien plus cher ses importations de gaz et de denrées alimentaires russes, et de perdre l’accès au marché russe en franchise de droits de douane. Ecarté par les Arméniens, Moscou serait alors susceptible ne plus rien tenter pour empêcher un coup de force de Bakou.
Un compromis ? : Qui peut croire, en conséquence, à un compromis ? Le stratège énergétique Umud Shokri avance l’idée d’un tunnel le long de la frontière irano-arménienne. Cependant, pour que l’échafaudage tienne, cette infrastructure devrait s’accompagner d’une coopération gazière structurée entre Russie, Azerbaïdjan et Iran. Et, en bout de raisonnement, permettre en échange à l’Arménie de préserver sa souveraineté territoriale.
| REPÈRES STRATÉGIQUES
Souveraineté de l’Île Maurice sur les Chagos : convaincre le nouveau pouvoir américain
Base aérienne : Les Mauriciens pensaient toucher au but et recouvrer la souveraineté de l’archipel des Chagos, point central britannique dans l’océan Indien. Port-Louis et Londres n’ont finalement pas pu trancher l’avenir de la base militaire de Diego Garcia, conjointe au Royaume-Uni et aux États-Unis, en mesure d’accueillir le fer de lance des bombardiers stratégiques de l’armée de l’air américaine, le Northrop B-2 Spirit.
Bail : Le gouvernement mauricien, en place depuis deux mois, n’est satisfait ni du montant ni de la durée du bail proposé par les Britanniques qui, de surcroît, veulent à présent l’aval du nouveau pouvoir américain. Or, le chef de la diplomatie et le conseiller à la sécurité nationale de Donald Trump ont exprimé leur opposition à la rétrocession des Chagos à Maurice. Port-Louis s’estime victime d’une “campagne de désinformation”.
Compétition universitaire scientifique : le dépassement chinois
32 511 : Si l’on en croit les compilations d’une société de technologie des données de Shenzhen (Chine), il y a davantage d’experts scientifiques de “renommée mondiale” en Chine qu’aux États-Unis. Dongbi Data en dénombre 32 511 dans son pays, contre 31 781 au sein de la première économie mondiale. Pour prétendre à ce statut, il faut publier des articles “influents” dans les revues académiques les plus prestigieuses au monde.
Essor italien : L’Académie chinoise des sciences disposerait ainsi de plus de ces chercheurs, reconnus de leurs pairs internationaux comme de “premier plan”, que les universités américaines de Harvard et Stanford réunies. Dongbi Data relève, en outre, une stabilité en Allemagne, mais un recul au Royaume-Uni et en France. L’Italie se distingue en Europe par la croissance de son bassin de scientifiques de très haut niveau.
Urgence sur le riz aux Philippines : coup de pouce du Pakistan
El Niño : Déclaration “d’urgence de sécurité alimentaire” décrétée par le gouvernement aux Philippines. La hausse continue des prix du riz y a provoqué une situation de tension socio-économique. Une succession de typhons a entravé la production intérieure de cet aliment de base. Selon le ministère philippin de l’Agriculture, le seul impact du phénomène océanographique El Niño a entraîné une perte de plus de 800 000 tonnes.
Riz pakistanais : Une fois le texte officialisé, un stock régulateur de 300 000 tonnes de riz peut être mis sur le marché national. Manille se tourne aussi vers certains grands producteurs asiatiques, dont le Pakistan. Le mois dernier, des discussions ont été entamées avec Islamabad pour au moins un million de tonnes, un volume qui pourrait répondre “à un quart des besoins d’importations” des Philippines en 2025.
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| LECTURES PARTICULIÈRES
Recul des échanges entre la Corée du Nord et la Chine : estimation “trompeuse” du PIB
Moins 5 % en 2024 : La célébration du 75e anniversaire des relations “d’amitié” entre Pyongyang et Pékin n’aura pas permis de relancer leurs échanges commerciaux. D’après les données officielles chinoises, ils se sont établis à 2,18 milliards de dollars l’an dernier. Ce commerce bilatéral entre la Corée du Nord et la Chine a atteint jusqu’à 6,5 milliards de dollars en 2013, avant les sanctions internationales à partir de 2017.
Gratuit : Mais l’économiste sud-coréen Chan Young Bang, qui a conseillé un responsable économique nord-coréen lors d’une période de dégel, préconiserait de ne pas s’y appesantir. Dans un texte récent, il a déconstruit la méthode d’estimation du produit intérieur brut nord-coréen par la banque centrale sud-coréenne, qui ignore le travail gratuit en Corée du Nord “à grande échelle, volontairement ou par la contrainte”.
Basculement politique en Autriche : exportations et démographie
Forteresse : Le chef du Parti de la liberté d’Autriche (FPÖ), appelé à prendre la tête d’un gouvernement de coalition avec les conservateurs, assure que sa formation nationaliste n’entend pas que le pays quitte l’Union européenne. Samedi, Herbert Kickl a dit vouloir pousser Bruxelles dans “une phase d’introspection”. Cet ancien ministre de l’Intérieur exige une “forteresse autrichienne” face à l’immigration extra-européenne.
Bras : Quoi qu’il advienne, dès son accession au pouvoir, le FPÖ sera confronté à une grave pénurie de bras dans les secteurs exportateurs : machine-outil, mécanique, chimie, agro-alimentaire, etc. Sans la moindre allusion politique, l’Institut viennois d’études économiques internationales (WIIW) établit, dans un travail prospectif à 2030, que l’Autriche se dirige vers des “problèmes majeurs” de force productive.
Désescalade en mer Rouge : transport maritime et combat des Houthis
Cessez-le-feu : La mer Rouge pourrait redevenir praticable... Dimanche dernier, l’insurrection yéménite des Houthis a fait savoir à la marine marchande la suspension de ses attaques visant les navires liés aux intérêts américains et britanniques. Seuls les bateaux sous pavillon israélien ou appartenant en totalité à une entité israélienne resteraient ciblés, jusqu’à l’entière application de l’accord de cessez-le-feu à Gaza.
Peu de frais : La dernière opération confirmée date du 10 décembre, bien qu’une autre ait probablement eu lieu le 26, d’après Seatrade Maritime. Un chercheur du centre qatari d’études Al Jazeera, Mohamed Abdel Aty, dans une analyse de mars 2024, a expliqué à quel point ce sont l’ensemble des puissances qui ont été contraintes de revoir leurs calculs stratégiques. Les Houthis ont infligé des “pertes énormes à peu de frais”.
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Quelle est votre perception de l’ensemble des enjeux du corridor de Zanguezour ? Un autre sujet retient-il votre attention ? Vos réactions sont les bienvenues : lenversduglobe@bfmbusiness.fr
Prochaine édition le jeudi 30 janvier.
Benaouda Abdeddaïm